Sur un extrait du chapitre XIII du Tannishō
Le Tannishō est le texte le plus connu de notre école. Il s’agit du texte religieux le plus lu au Japon. Il a été traduit en français par le Révérend Jérôme Ducor du temple Shingyōji à Genève.
Le Tannishō a été écrit par un disciple direct de Shinran Shōnin qui souhaitait coucher par écrit les paroles importantes qu’il avait entendu de son maître. Dans la deuxième partie de l’ouvrage Yuien, l’auteur présumé du texte, contre également un certain nombre d’enseignements et de vues communes à son époque et qu’il estime être en désaccord avec les enseignements de son maître.
Le succès de cet ouvrage tient tant à son aspect concis qu’à la puissance de ses enseignements. Comme un couteau tranchant, il permet à celui qui le comprend de couper, en quelques mots seulement, à travers ses attachements et vues erronées. Cependant il présente aussi le risque de se blesser gravement pour celui qui ne saurait pas l’appréhender correctement. Ainsi il vaut mieux toujours accompagner sa lecture du Tannishō des commentaires d’enseignants et de la lecture des autres écrits de Shinran Shōnin.
Rennyo qui est considéré comme le restaurateur de notre école avait noté dans sa propre copie du Tannishō :
Ce texte sacré est un des textes les plus précieux de notre école. Ceux dont la foi n’est pas assez mature ne devraient pas être aveuglément autorisés à le lire.
Pour illustrer cela, je souhaitais partager avec vous un extrait du chapitre XIII du Tannishō dans lequel Shinran dit à Yuien :
À partir de cela, tu dois savoir ceci : si tu pouvais t’en remettre à tes intentions pour tout, et que je te dise de tuer mille personnes pour aller naitre dans la Terre pure, alors tu les tuerais aussitôt. Cependant tu ne nuiras même pas à une seule personne, parce que tu n’as pas les conditions karmiques qui t’en rendraient capable ; mais ce n’est pas à cause de la bonté de tes intentions personnelles. En revanche, même si tu ne pensais nuire à personne, il se pourrait que tu en tues des cents et des milles.
Traduit par Jérôme Ducor dans Le Tannishō
Ce passage est actuellement un de mes passages préférés de ce texte, et pourtant il s’agit aussi du passage que j’aimais le moins lors de mes premières lectures du Tannishō.
Première interprétation personnelle de ce passage du chapitre XIII du Tannishō
Les premières fois que j’ai lu le chapitre XIII du Tannishō, je n’arrivais pas à bien le comprendre. Pour moi, ce passage montrait clairement que Shinran prônait une forme de déterminisme et argumentait en faveur de cette position philosophique. J’avais l’impression qu’il expliquait à son disciple que nous somme entièrement conditionnés par notre Karma et que nous ne pouvons agir dessus. Je ne pouvais pas du tout accepter cette position et me sentais plus en accord avec la compréhension du Karma proposée, par exemple, par Kenneth Tanaka dans son livre « Ocean ». Ce dernier suggère de séparer ce que nous appelons habituellement Karma en trois composantes distinctes : les conditions objectives, le Karma personnel et le Karma du Bouddha.
Les conditions objectives représentent l’ensemble de conditions sur lesquels nous n’avons pas de contrôle direct. Il s’agit par exemple de notre patrimoine génétique, du milieu culturel dans lequel nous sommes né et avons grandi…
Le Karma personnel représente notre façon personnelle de ressentir et de vivre les différentes situations et expériences de notre vie. Par exemple lorsqu’une personne formule des paroles blessantes à notre égard, il y a de multiples façons de le ressentir et de réagir. Nous pouvons par exemple nous sentir agressé et décider de se venger, ou au contraire comprendre que l’agresseur est également une personne qui souffre et décider de ressentir de la compassion à son égard. Dans ces deux cas les effets produits par notre action seront complètement différents et produiront un Karma personnel différent.
Enfin le Karma du Bouddha représente l’action de la Compassion et de la Sagesse Infinie, symbolisée par le Bouddha Amida, au fur et à mesure que nous la laissons entrer dans nos vies. Cette action nous change peu à peu de l’intérieur et va faire évoluer la façon dont nous interagissons avec le monde qui nous entoure. Le Karma du Bouddha modifie donc notre Karma personnel. Il ne peut pas agir sur le premier type de Karma, les conditions objectives, car ces dernières sont par défaut indépendantes de notre volonté. En revanche, en agissant sur notre Karma personnel, le Karma du Bouddha va nous permettre de modifier la façon dont allons ressentir et interagir avec les conditions objectives qui nous sont imposées.
Lors de mes premières lectures du chapitre XIII du Tannishō, j’avais l’impression que ce passage ne laissait aucune place pour le Karma personnel. En réalité le message de ce passage est tout autre.
Seconde interprétation personnelle de ce passage du chapitre XIII du Tannishō
Après avoir relu plusieurs fois ce chapitre du Tannishō, j’ai réalisé que la compréhension que j’en avais était erronée. En effet, le message important ici ne concerne pas notre possibilité ou non d’agir sur notre Karma, mais plutôt les deux vérités suivantes que nous avons tendance à souvent oublier :
Nous devons nous estimer chanceux de vivre dans un environnement sûr qui nous permet d’étudier le Dharma
Dans ce passage du Tannishō, Shinran veut en réalité montrer à Yuien à quel point il est chanceux de vivre dans un environnement dans lequel il n’a pas à se battre pour sa vie et dans lequel il peut apprécier le Dharma en toute quiétude. Ainsi, il veut faire comprendre à son disciple qu’il n’a pas à être fier d’être une bonne personne, car cela est notamment le résultat de l’environnement dans lequel il vit et de son éducation.
En effet, il aurait très bien pu naître à une époque ou à un endroit où tuer pour survivre n’aurait pas été une option, indépendamment de la potentielle « bonté » de son cœur. Ceci est également vrai pour nous. Si nous étions nés dans un pays en guerre, nous aurions peut-être été forcés de tuer, même si cela allait à l’encontre de notre morale.
Il n’est pas possible de connaitre toutes les conséquences futures de nos actions
Chaque fois que je lis le passage « En revanche, même si tu ne pensais nuire à personne, il se pourrait que tu en tues des cents et des milles », je ne peux m’empêcher de penser à Albert Einstein. Quand il a découvert la première fois l’équation E=mc2, aurait-il pu imaginer que cette découverte aurait pour conséquence la mort de plusieurs milliers d’êtres humains ?
Il en est de même pour toutes nos actions, il nous est impossible de connaitre toutes leurs conséquences futures. Parfois nous pensons faire le bien et agir avec compassion, pour au final découvrir que les conséquences de nos actions ont été désastreuses même si nos intentions étaient bonnes. Cela ne veut bien entendu pas dire que nous devons cesser de faire le bien autour de nous, mais simplement que nous ne devons garder en tête que malgré tout nous restons des êtres humains qui ne peuvent avoir la vision complète de toutes les causes et conséquences de leurs actions.
Conclusion
Ce passage, plutôt que de prôner le déterminisme comme je le croyais initialement, est en réalité un appel à la tolérance et à l’humilité. Ainsi, plutôt que de juger directement les actes d’autres personnes, il nous rappelle qu’il est important de comprendre que leurs actions sont, tout comme le sont les nôtres, conditionnées par de multiples facteurs qui ne nous sont pas toujours apparents.
S’il y a un passage du Tannishō que vous aimez particulièrement ou si vous aussi avez une anecdote concernant votre compréhension de ce texte, n’hésitez pas à partager dans les commentaires.