Soga Ryôjin : Dharmâkara, un Sauveur sur Terre
Soga Ryôjin est un des penseurs de notre école les plus influents du XXème siècle. Etudiant de Kiyozawa Manshi et ami de Kaneko Daiei, il fut président de l’Université Ôtani de 1961 à 1967. Contrairement aux autres penseurs du Jôdo Shinshû, la figure du Bodhisattva Dharmâkara est primordiale pour Soga Ryôjin et restera au cœur de sa pensée toute au long de sa vie.
Le texte suivant « un Sauveur sur Terre » est un des premiers essais dans lequel il articule sa vision du Bodhisattva Dharmâkara et son lien avec le pratiquant.
Présenté pour la première fois en français, cette traduction a été réalisée sur la base des traductions anglaises de Jan Van Bragt dans « A Soga Ryôjin Reader » et de Wayne S. Yokoyama & Hiroshi Suzuki dans « Living in Amida’s Universal Vow »
Chapitre I
Aux alentours du début du mois de juillet de l’année dernière[i], au domicile de mon ami Kaneko[ii] à Takada, j’eu l’intuition suivante : « le Tathâgata[iii] n’est autre que moi-même ». Puis, vers la fin Août, cette fois à Kaga chez Akegarasu[iv] m’est apparu la phrase suivante : « C’est en devenant moi que le Tathâgata me sauve ». Finalement, vers octobre, j’ai réalisé que « la fusion du Tathâgata avec moi marque la naissance du Bodhisattva Dharmâkara[v] ». Pour la plupart des gens, cette réalisation n’aurait peut-être pas eu grand intérêt, mais pour moi – aux prises avec la maladie et l’inquiétude depuis vingt ans, et n’ayant pas compris le sens des écritures de notre tradition jusqu’à maintenant, malgré le fait que je me sois fait un devoir de les lire tous les jours – cette révélation que j’ai reçu ce jour-là me fit le même effet que si quelqu’un m’avait fourni une torche qui aurait subitement illuminé une pièce plongée dans les ténèbres depuis des milliers d’années. Bien que ne disposant pas en moi des compétences nécessaires pour exprimer clairement ce ressenti, je ne pouvais pas non-plus le garder pour moi seul. C’est pour cela que, depuis octobre de l’année dernière, j’ai commencé à l’exposer en partie dans une série de petits articles pour la colonne « Tempête » [du magazine Seishinkai]. J’ai également publié dans l’édition de janvier 1913 du journal « Lumière Inépuisable » un article intitulé « Le Moine Dharmâkara du Présent comme révélateur de l’Esprit de Bouddha éternel ». Je suis très ému par tous les messages de sympathie et par les demandes d’informations complémentaires que j’ai reçus d’amis dans le Dharma proches et lointains, autant que je reste surpris par l’audace et l’assurance de mes propres pensées…
Chapitre II
Pour être honnête, ce personnage de Dharmâkara est resté pendant longtemps un concept important dont je ne savais que faire. Bien entendu, je ne comprends pas non-plus le sens d’une Terre Pure située à des dizaines de milliers de millions de kilomètres à l’Ouest de notre monde[vi]mais, en tant que personne qui ne peut se résoudre à considérer notre monde actuel comme une Terre Pure, je ne peux que capituler devant l’idée de la Terre Pure de l’Ouest[vii]. Cependant je ne pouvais réellement croire, et ne me sentais d’ailleurs aucunement obligé de croire, en la figure du Bodhisattva Dharmâkara, au Vœu primordial qu’il proclama après avoir médité pendant cinq kalpas[viii], ni en la période infiniment longue qu’il est supposé avoir consacré aux pratiques ascétiques dans le but d’accumuler suffisamment de mérites pour sauver tous les êtres. Dans mon enfance, lorsque j’entendais le passage le concernant dans le Shôshinge[ix], j’étais ému sans vraiment comprendre pourquoi. Effectivement, les simples croyants sont souvent émus aux larmes par ces simples mots « méditation longue de cinq Kalpas ». Mais en atteignant l’âge de raison, je perdis tout intérêt que j’avais pour la pratique de Dharmâkara à l’étape causale du Vœu. A cette époque, je n’avais d’attrait que pour le nom « Ainsi Venu à Lumière Infinie brillant dans les dix directions[x] ». Je rationnalisais le problème de Dharmâkara en me basant sur la loi de la Causalité, justifiant que, puisque les êtres humains ne peuvent penser en dehors des relations de causalité, le Tathâgata, afin de permettre aux humains de prendre conscience de son Vœu Primordial, avait révélé sa volonté par le biais de la loi de Causalité, la loi qui régit la façon de penser des êtres humains. En vérité, j’étais tellement obsédé par l’image de la Lumière éblouissante du Tathâgata que cette obsession détruisit virtuellement tout intérêt naissant que je pouvais avoir pour la pratique de Dharmâkara à l’étape causale du Vœu.
Chapitre III
Cependant le Tathâgata à la Lumière Infinie n’est rien de plus qu’un objet de nos désirs, en d’autres mots, rien de plus qu’un idéal, et en tant que tel ne peut être notre Sauveur. Une telle foi est indissociable des notions de « Nature-Propre et Rien-qu’Esprit »[xi] de la voie des Sages[xii]. Le Salut, d’un autre côté, est une question de réalité concrète, il s’agit du vrai problème que doit résoudre le Soi en tant qu’être vivant une vie humaine. Nous ne pouvons pas être sauvés par un idéal sans fondement créé par nous-même. Les Dieux, les Bouddhas et les Bodhisattvas des dix directions et des trois temps[xiii] ne sont que des expressions des idéaux humains. Le nom « Tathâgata à la Lumière Infinie » unifie toutes les qualités de ces Dieux, Bouddhas et Bodhisattvas et ainsi devient un symbole regroupant l’entièreté des aspirations des êtres humains. En tant que tel, nous ne pouvons que diriger vers lui nos espoirs les plus profonds. Cependant, nous qui tenons tellement à cet idéal de Lumière, nous devons nous demander : la lumière de Sagesse émise depuis ce monde idéal est-elle suffisante pour dissiper les ténèbres de cette longue nuit d’ignorance dans laquelle nous sommes plongés ? Est-elle suffisante pour nous servir de radeau providentiel nous permettant de traverser cette mer de souffrances que sont la vie et la mort[xiv] ?
Ce n’est qu’à partir du moment où nous montons à bord de Vœu-Vaisseau de la grande compassion[xv] que cet idéal fusionne enfin avec notre réalité. Alors cet océan qu’est la vie humaine, remplie de souffrances bien réelles, s’interpénètre tel qu’il est et sans entraves avec la Lumière, devenant ainsi lui-même un vaste océan de Lumière. Séparé du Vœu-Vaisseau de la grande compassion, la vie humaine ne reste qu’un océan de souffrances, transgressions et limitations. Même en supposant que la Lumière Infinie illumine l’océan de souffrances de notre réalité actuelle, quels bénéfices pourrait réellement en tirer le Soi en train de se noyer au fond de la mer ? En fait, ce que requiert notre réalité actuelle n’est pas une Lumière venant du ciel, mais bien le Vaisseau du Vœu naviguant sur l’océan de notre vraie vie humaine. Ce n’est pas le Bouddha éternel en tant que Corps de la Loi[xvi] qui est le sauveur du Soi, le sauveur du monde réel doit être un Bouddha humain qui daigne apparaître dans le monde réel[xvii].
Le fait que le Christianisme parle d’une Trinité, en posant Jésus en tant que médiateur entre Dieu et les êtres humains, et considère Jésus en tant qu’« homme-dieu » comme le vrai sauveur direct de l’humanité, est sans aucun doute dans le but de satisfaire cette demande. Dieu le Père, le Dieu Suprême, étant lumière éternelle, n’est pas en mesure d’entrer en contact intime avec le monde réel. Même en supposant que ce monde soit issu des mains même de ce Dieu Suprême, à partir du moment où ce monde réel en vient à concrètement exister, le Dieu Suprême et ce monde deviennent totalement séparés et indépendants l’un de l’autre. Ainsi, ce Dieu Suprême a déjà perdu dans sa nature primaire sa capacité à régir, élever et sauver les être humains. C’est la raison pour laquelle il envoie tout spécialement son fils bien-aimé le Christ dans le monde réel, pour en faire le sauveur de ce monde et l’unificateur du monde spirituel, et ainsi pouvoir se défaire de son isolement en s’unissant avec les êtres humains.
Entre notre Parent à la lumière éternelle[xviii], et nous autres êtres humains, qui sombrons au fond de l’océan qu’est le Samsâra, se trouve une distance aussi grande qu’entre le Paradis et la Terre. La magnificence du parent ne peut nous atteindre directement. C’est pour cela que, atténuant sa lumière et s’adaptant à la poussière, il daigne apparaitre sous la forme du Bodhisattva Dharmâkara, ce sauveur qui est un Bouddha Humain.
Chapitre IV
Si tel est le cas, quel genre de personne est ce Bodhisattva Dharmâkara ? D’où vient-il, où proclama-t-il ses vœux, quels furent les lieux de ses pratiques ascétiques, et en quel endroit atteignit-il l’Eveil ? On pourrait dire qu’il atteignit l’Eveil dans la Terre Pure de l’Ouest, un monde transcendant notre monde réel. Mais la vraie question reste cependant quel est le lieu de naissance du Bodhisattva Dharmâkara en tant que Bouddha Humain, c’est-à-dire le Bouddha Amida dans son étape causale.
Pour en revenir à l’exemple du Christ, peu importe à quel point il baigne dans la lumière Divine, il reste en fin de compte un personnage historique. Le fait qu’il puisse prétendre être le Sauveur du Monde tient précisément à son ancrage dans notre monde réel ; mais dans le même temps son statut de personnage historique l’empêche de pouvoir complètement achever ce but. Car peu importe tous les superlatifs qu’on pourrait attribuer à sa personne, il n’en reste pas moins un être humain comme les autres en quête de salut. De ce fait, notre Homme-Dieu perd son titre de Sauveur, car comment pourrait-il me sauver tant que lui et moi restons deux êtres humains séparés ? Même en partant du principe qu’il serait une manifestation du Divin, tant qu’il reste un individu à part entière séparé des autres individus il ne peut être notre Sauveur. Puisqu’il ne peut pas être suffisant proche de nous pour être notre Sauveur, son rôle s’en retrouve limité à celui de l’annonciateur d’une vérité : que le Dieu Suprême est proche des hommes en tant que Parent. Ainsi le Christianisme, malgré ses apparences de Religion prônant la libération par le Pouvoir Autre, une fois son masque tombé, se révèle finalement n’être qu’une religion de plus basée sur les idéaux du Pouvoir Personnel[xix]. Depuis son monde idéal Dieu ne peut qu’apporter la lumière révélant la profondeur et le poids de nos limitations Karmiques d’êtres humains ; alors que de notre côté nous ne pouvons que nous lamenter de la vanité de nos efforts, tout en désirant accéder à la lumière de ce Dieu Suprême.
A l’inverse, Dharmâkara n’est clairement pas un personnage historique. Il daigne prendre naissance directement dans le cœur et l’esprit des êtres humains. Sa voix appelant les être vivant des dix directions ne vient pas d’un monde supérieur fait de pure lumière ; elle n’est pas non-plus la voix d’un être humain objectivement séparé de nous. Cette voix surgit de la poitrine même de tous les êtres souffrants. Le fait que le Vœu Primordial du Bodhisattva Dharmâkara soit comparé à un Vaisseau naviguant sur la mer du Samsâra montre bien que cette voix provient des profondeurs de mon cœur, qu’elle provient des profondeurs de la Terre juste sous mes pieds. Tandis que toutes les religions idéalistes du monde sont des « religions du Paradis », notre religion du Salut par le Bodhisattva Dharmâkara à l’honneur d’être la seule « religion de la Terre ». Il y a de nombreuses « religion de la Lumière », mais notre Shinshû est la seule « religion du Vœu-Vaisseau ». Il n’y a que notre Shinshû qui soit une religion adressant le monde réel tel que nous le vivons, et pour cela il s’agit d’une religion offrant véritablement le Salut.
Pourquoi y a-t-il autant de personnes dans le monde qui, tout en continuant à se perdre dans les profondeurs du Samsâra, placent toute leur confiance dans une lumière du futur ? En vérité, notre Shinshû, tout comme les nombreuses religions du monde qui louent la lumière, chante lui aussi les louanges de la Lumière du Tathâgata brillant dans les dix directions. Mais nous qui chantons ces louanges ne sommes pas suspendus dans les airs : nos pieds sont fermement plantés sur le pont du Vaisseau-Vœu qui traverse l’océan de notre réalité. Et il n’y a pas une seule personne à bord de ce Vaisseau qui disparaîtra à jamais. Bien que continuant à résider en plein milieu du grand océan de la vie, tant que nous restons passagers du grand Vœu-Vaisseau nous sommes séparés du Samsâra. Lorsque nous oublions ce Vaisseau, nous ne pouvons plus nous considérer vraiment comme des personnes qui louent la lumière. Car mon vrai Moi, alourdi par une éternité de Karma accumulé, ne peut naturellement que couler de plus en plus profondément. Je ne suis pas un être suspendu dans les airs.
Les Bouddhas, les Bodhisattvas et les Dieux des dix directions et des trois temps nous appellent depuis les cieux, chacun d’eux brillant de sa propre lumière. Amida en tant que Seigneur à la Lumière Éclatante, qui unifie toutes ces lumières, est le plus grand de tous. Mais l’adoration d’un tel Bouddha et le salut par ce même Bouddha sont deux choses différentes. Bien qu’il soit dit que les Dieux et les Bouddha ne nous abandonnent jamais et qu’ils brillent sur nous et nous appellent à eux constamment, lorsque nous autres, créatures impuissantes, nous retrouvons face au problème du choix de la pratique permettant d’assurer notre propre salut, nous n’avons d’autre choix que d’abandonner nous même ces Dieux et Bouddhas. Pour parler franchement, en tous ces Dieux et Bouddhas nous ne trouvons qu’une voix issue d’un monde idéal mais aucun Vœu Primordial assurant notre salut dans le monde réel. A proprement parler, le Vœu Primordial se limite aux 48 Vœux du Boddhisattva Dharmâkara. Nous pouvons parler à la légère du salut par le Pouvoir Autre, mais il n’existe pas de vrai Pourvoir Autre en dehors du « Pouvoir du Vœu Primordial » du Tathâgata que notre fondateur Shinran nous a révélé.
Mais qu’est-ce que ce Vœu Primordial ? Il s’agit du pouvoir permettant de sauver notre Soi enchevêtré dans la toile du monde réel. Il ne peut s’agir de quelque chose qui serait comparable à une peinture de gâteau qui, bien que magnifique, ne nous est finalement d’aucune utilité. Les pouvoirs du Bodhisattva à la Grande Compassion Kannon, par exemple, sont comme ce type de peinture : ils n’ont pas pied dans notre monde réel, n’étant finalement rien de plus qu’une belle métaphore. Le Vœu Primordial du Bodhisattva Dharmâkara est complètement différent. En tant que Bouddha Humain, le Bodhisattva Dharmâkara est à la fois Bouddha Amida qui existe éternellement ; mais en même temps, il est également le vrai sujet du Soi en quête de Salut. C’est cette idée que j’ai rendue par « le Tathâgata[xx] n’est autre que moi-même », et que j’avais également perçu comme « le Tathâgata devient moi ». En d’autres mots, en tant que Sauveur, il est la personnification de l’Unité du Ki (foi) et du Hô (Tathâgata). Ou encore, du point de vue de l’être humain qui doit être sauvé, il est la personnification de l’unité de l’esprit de Bouddha (foi) et de l’esprit du bonbu[xxi] (karma négatif).
En cette unique figure du Bodhisattva Dharmâkara, nous vénérons les pouvoir majestueux du Bouddha en son corps éternel de la Loi[xxii] et voyons en même temps le Soi qui, éveillé à la réalité de la profondeur de ses défauts et limitations, s’en remet entièrement à lui. En lui, nous voyons à la fois le visage du parent et celui de l’enfant favori. Le Bodhisattva Dharmâkara n’est pas une tierce personne agissant comme médiateur entre le Tathâgatha, le Parent éternel, et nous autres être sentients ; il est précisément à la fois le Tathâgatha et nous autres être sentients. Il est, en un, la première personne et la seconde personne ; tout en étant l’objet de notre foi, il est en même temps le sujet de cette foi ; il est le sauveur et le sauvé, celui qui s’en remet à et celui à qui on s’en remet, en une seule personne. Il est, en même temps, un passager du Vaisseau [du Vœu] et son capitaine ; le maitre du Vœu Primordial et la cible de ce Vœu. Quand je me mets à penser à cette figure du Bodhisattva Dharmâkara, aux raisons et au sens de sa naissance, je suis submergé par des émotions intenses et un sentiment d’émerveillement incroyable.
Chapitre V
Lorsque je suis frappé d’étonnement par l’inconcevabilité de cette figure du Bodhisattva Dharmâkara, je ressens de l’admiration envers la figure inconcevable du Tathâgata éternel et, en même temps, je suis étonné par le coté inconcevable de ma propre existence.
Mais alors, qu’est donc ce Bodhisattva Dharmâkara ? Rien d’autre que le sujet de la foi qui s’en remet au Tathâgatha. Son 18ème Vœu est la manifestation de l’expérience pleine d’amour du Tathâgata faite avec le cœur-enfant d’abandon des êtres sentients. Le fondateur de notre école, Shinran, affirme que le 18ème Vœu accomplit la foi chez les être (Ki 機), mais qu’est-ce que cela peut bien signifier ? Qu’entendons-nous quand nous disons que le Tathagatha a daigné réaliser ou accomplir la foi que nous étions sensé susciter nous-même ? Si nous disions que le Tathâgata avait accompli le Vœu et la pratique que nous étions sensés produire, nous pourrions encore comprendre cela de façon objective, puisque Vœu et pratique sont, dans une certaine mesure, objectifs. Il en va différemment de la foi, puisqu’elle ne peut pas du tout être conçu séparément du sujet. Qu’est-ce que cela veut dire, alors, qu’un Tathâgata objectif a réalisé à la place du sujet le vrai moment-unique de la foi du vrai sujet, sur la base de laquelle le sujet s’en remet intimement au Tathâgata ? La foi n’est-elle pas justement la vie véritable de notre pure subjectivité ? Il semblerait, par conséquent, que cela ne puisse en effet pas être réalisé du côté du Tathâgata objectif.
En effet, Maîtres Shandao et Hônen, dans leur interprétation des trois aspects de la foi et des dix invocations du 18ème Vœu (qui annonce la foi, le Vœu et la pratique[xxiii] comme étant les causes de la naissance dans la Terre Pure) font une distinction sur ce point : parmi les trois causes, la foi en tant qu’appartenant au sujet qui croit est détaché du Vœu Primordial comme objet de foi .Ils considèrent donc le Nom, en tant qu’il est doté à la fois du Vœu et de la pratique, comme étant réalisé par le Tathâgata, et de ce fait nomment le 18ème Vœu le « Vœu de la naissance par le Nembutsu ». Seul le fondateur de notre école, Shinran, expérimentant avec ce Vœu dans les profondeurs de son propre cœur, et découvrant le Vœu Primordial du Bodhisattva Dharmâkara au sein de son propre sujet, nomma avec détermination ce Vœu le « Vœu Primordial de la Foi et du cœur qui s’en remet ». En réalité, Shinran, dans sa conscience de soi, n’était pas seulement l’hôte véritable (objet) du Vœu Primordial, mais également son « maitre » (sujet). A ce stade, nous pouvons voir que, lorsqu’il est dit que la doctrine de notre fondateur a directement été transmise par Amida, il ne s’agit certainement pas là de simples louanges sans fondements. Car il a découvert l’esprit vaste au sein duquel les Vœux de Dharmâkara furent créés précisément au moment-unique de sa propre pensée foi. En tant que notre Sauveur, Dharmâkara n’est autre que le Tathâgata éternel mais, lorsqu’il se tourne vers le Tathâgata dans le cadre de son expérience avec le cœur qui s’en remet [des êtres sentients], il n’est autre que la foi, qui est le véritable Soi du sujet de nous autres être sentients.
Parmi les mots du 18ème Vœu, le serment : « s’il y a des être sentients qui ne naissaient pas dans ma Terre, que je n’atteigne pas l’Eveil Suprême », présente le Bodhisattva Dharmâkara directement en sa qualité de Parent à la lumière éternelle, et l’appel « d’un cœur sincère confie toi à moi, souhaitant renaître dans ma Terre et récitant mon nom ne serait-ce que 10 fois » nous le montre comme prenant place dans le sujet des êtres sentients des dix directions et expérimentant avec les agitations de notre cœur à nous autres, ses enfants.
En particulier, en connexion avec l’acte de la foi qui est très subjectif, il n’est pas approprié de dire fait que « le Thatâgata agit à ma place ». A la place, nous ferions mieux de dire que le « Tathâgata devient moi ». C’est précisément le vrai sujet de la foi qui se confie qui est le cœur du 18ème Vœu, et ce que nous appelons « le salut par le Pouvoir Autre du Vœu Primordial » n’est finalement rien de plus que le Tathâgata daignant devenir le sujet de la foi qui s’en remet du pratiquant du Nembutsu. Tant qu’on continue à placer le Bodhisattva Dharmâkara ou son Vœu Primordial seulement au niveau objectif, dans la catégorie des objets de foi, on ne peut être considérée comme quelqu’un ayant expérimenté avec le Vœu Primordial et s’en étant remis à lui.
Concernant la raison pour laquelle le Tathâgata a fait le serment de la foi, comment il l’a fait et pourquoi il n’a pas simplement promis la naissance [dans la Terre Pure] par le Nembutsu, il s’agit là de questions profondes qui méritent de plus amples réflexions.
Précisément en expérimentant avec le vrai sujet du pratiquant, qui est le cœur qui se confie, le Tathâgata a accompli et révélé le cœur parental qui lui a fait prononcer le Vœu ; dans le même temps, précisément à travers ce cœur parental, il expérimente le cœur de l’enfant qui se confie. Réellement, le 18ème Vœu atteste du fait que le Bodhisattva Dharmâkara est l’unité illimité du cœur de l’enfant qui se confie et du cœur parental du Vœu, et il montre que son existence nait de la conscience en soi de l’unité du parent et de l’enfant. Le Bodhisattva Dharmâkara est la personnification de l’unité du Dharma et des êtres sentients, de l’esprit de Bouddha et de l’esprit du commun des mortels[xxiv].Il ressent directement le Karma mauvais de tous les êtres vivants comme étant le sien ; il ne nous blâme pas nous, mais seulement lui-même. En expérimentant avec les actes mauvais du commun des mortels, il suscite l’esprit de Bouddha, qui n’est autre que le cœur qui se confie , du côté des enfants; et en expérimentant avec ce cœur qui se confie, il produit le cœur parental éternel qui l’incite à faire le Vœu.
Le Bodhisattva Dharmâkara est la figure du Tathâgata qui daigne devenir moi, ; et, en même temps, il est la manifestation du Tathâgata devenu nous les êtres sentients – tel qu’indiqué dans le Vœu.
Chapitre VI
Afin de me sauver, moi qui depuis des temps immémoriaux et jusqu’à maintenant ait été ballotté dans l’océan du Samsâra, accablé par le poids de mon mauvais karma, le Tathâgata qui est le parent éternel s’est jeté lui-même dans cet océan du Samsâra, est devenu intimement mon vrai et ultime sujet, et par cette action m’a réveillé du rêve de la nuit sans commencement de l’ignorance. En surface, le Tathâgata m’a appelé « Tu », mais au fond de lui il a daigné me considérer directement comme « Je ».
En rapport avec le Bodhisattva Dharmâkara, le sutra[xxv] parle de « cinq Kalpas » (de méditation/réflexion) et d’innombrables Kalpas (de pratique). En entendant cela, les gens ont vite tendance à considérer cela comme un vieux conte qui n’a rien à voir avec leur vie actuelle. En fait, cependant, le moment-unique au cours duquel le Bodhisattva Dharmâkara suscite la foi du cœur sincère qui s’en remet est un moment absolu qui embrasse d’innombrables Kalpas. Et également, le premier moment au cours duquel nous sommes amenés à faire l’expérience de la fois est un moment absolu qui englobe d’innombrables Kalpas. Le présent de la foi est le vaste présent de la Vie Infinie. Il n’y a aucun moment de plus qui peut s’ajouter à ce moment. Séparé de ce moment unique il n’y a pas de foi ; la réalité de la foi qui est vécu est uniquement dans le présent. Pourquoi, alors, voir la foi, qui est le suprême et unique sujet comme quelque chose appartenant au passé ? Comme s’il s’agissait d’une « chose » qui vous ferait atteindre une bonne fois pour toute un point culminant d’accomplissement, et suite auquel la seule action qui nous resterait serait de lui exprimer notre gratitude. La foi est le sujet ultime, le vrai Soi. De ce fait, quand nous nous éloignons du moment-unique de la foi, nous sommes déjà loin du Tathâgata, loin de notre Soi, et vivons dans un ciel de rêves illusoires.
Quand nous considérons le moment quand, il y d’innombrables Kalpas, le Bodhisattva Dharmâkara prononça son Vœu et le moment au cours duquel nous obtenons la foi comme un seul moment absolu, le Vœu de Dharmâkara prend place au sein de notre foi dans le moment présent. Ces deux moments sont le commencement et la conséquence d’un seul moment-unique. Les innombrables Kalpas de pratique de Dharmâkara et les dix Kalpas qui se sont déjà écoulés depuis qu’il a atteint la Bouddhéité (semble s’intercaler entre ces deux moments mais) ne peuvent les séparer.
Vraiment, les cinq Kalpas de réflexion sur le Vœu, les innombrables Kalpas de pratique, et ensuite les dix Kalpas qui se sont écoulés depuis qu’il a atteint la Bouddhéité sont finalement inclus dans le grand présent du moment-unique de foi. Si nous essayons de le concevoir en dehors de ce moment-unique de foi, Dharmâkara redevient une simple figure mythologique. Les autres écoles de la Terre Pure ne sont que des religions de mythes enfantins, car elles se sont distanciées elles-mêmes du moment unique de foi et sont devenu de simples religions de l’espérance. En elles ne se trouvent aucunes bases réelles pour la figure du Bodhisattva Dharmâkara, et, par conséquence, pour elles le Vœu Primordial, la pratique du Bodhisattva, sa réalisation de l’état de Bouddha, la Terre Pure, même le salut et la naissance dans la Terre Pure, deviennent tous de simples idéaux. En fait, les dix Kalpas, les Kalpas innombrables, et aussi le moment de la mort, n’existent pas en dehors de cette réalisation personnelle de cet unique-moment de foi dans le présent.
Le Vœu Primordial du Bodhisattva Dharmâkara en vue que se réalise le cœur qui s’en remet, bien qu’étant quelque chose venant d’un passé sans commencement, est totalement embrassé dans ce moment-unique de notre réalisation personnelle. Les premières expériences du Bodhisattva avec la réalité sans commencement du cœur d’illusion du commun des mortels, directement produit en eux l’esprit de Bouddha du cœur qui se confie, et au milieu de cet esprit d’abandon inconditionnel se révèle le cœur du Tathâgata éternel qui fait du salut de tous les êtres la condition de son propre accomplissement de l’état de Bouddha.
Chapitre VII
Je crois qu’au bout du compte, le désir pour la lumière est un trait commun à toutes les religions, pas uniquement une caractéristique des religions basées sur le Pouvoir Autre. Par le biais de notre introspection, nous devons nous détourner des religions qui loue la lumière au profit d’une religion qui nous fait monter sur le Vaisseau [du Vœu]. Lorsque nous nous éveillons à toute la profondeur de notre réalité présente et nous nous découvrons au fond de l’océan du Samsâra, alors, aussi surprenant que cela puisse paraître, nous nous retrouvons nous-même naviguant sur le Vaisseau [du Vœu] Ce Vaisseau du Vœu est vraiment ici dans le présent, et tant qu’il y aura ce Vaisseau, la Terre Pure, bien que fort lointaine, sera à portée de main. La question principale, et la seule question, n’est pas est-ce que le Tathâgata et la Terre Pure sont proches ou lointain, mais plutôt est-ce que nous même sommes conscient du Vaisseau du Vœu ou non.
Bibliographie en anglais sur Soga Ryôjin
A Soga Ryôjin Reader de Jan Van Bragt
Cultivating Spirituality: A modern Shin Buddhist Anthology de Mark L. Blum et Robert F. Rhodes
Living in Amida’s Univeral Vow de Alfred Bloom
The Buddha Eye : an Anthology of the Kyoto School and it’s contemporaries de Frederick Franck
Listening to Shin Buddhism : Starting Points of Modern Dialogue edité par Michael Pye
The Thanksgiving Sermons of Soga Ryōjin traduit par Wayne S. Yokoyama
Notes
[i] 1912
[ii] Un autre penseur influent issue de la branche Ôtani-Ha du Jôdo Shinshû, ami et collègue de Soga Ryôjin
[iii] Le Bouddha Amida
[iv] Un autre penseur influent de la branche Ôtani-Ha du Jôdo Shinshû
[v] D’après le Grand Sûtra de Vie Infinie (Dai Muryōjukyō) Dharmâkara est le Bodhisattva qui a émis les 48 vœux dont la réalisation lui a permis de devenir le Bouddha Amida
[vi] Soga fait ici référence à la description traditionnelle de la localisation de la Terre Pure créée par le Bouddha Amida
[vii] Pour une discussion de la Terre Pure du Bouddha Amida, voir Jôdo no Kannen de Kaneko Daiei
[viii] Période cosmique extrêmement longue de plusieurs million ou milliard d’années
[ix] Hymne sur la Foi Véritable de Shinran Shônin
[x] 尽十方無碍光如来
[xi] Cette affirmation de Soga sous-entend que tant que le Tathâgata reste une extension de nos désirs et de nos idéaux, le pratiquant reste dans les notions de Nature-Propre et Rien-qu’Esprit car le Tathâgatha conçu par le pratiquant n’est autre qu’une extension de lui-même (c’est-à-dire de ses propres désirs). Ce qui correspond à la première révélation au début du chapitre un : « Le Tathâgatha n’est autre que moi-même ».
[xii] La voie des Sages, qui est la voie basée sur les pratiques personnelles, sert à décrire toutes les voies bouddhiques autres que la voie de la Terre Pure, basée sur le Pouvoir Autre.
[xiii] Passé, présent et futur
[xiv] C’est-à-dire le cycle des réincarnations
[xv] L’activité salvatrice d’Amida est souvent comparée à un vaisseau ou à un bateau suffisamment large pour inclure tous les êtres vivants à son bord.
[xvi] Dharmakaya : un des trois corps de Bouddha. Le corps ultime qui ne peut être perçu réellement que par les êtres éveillés et qui est pure, éternel et transcendant.
[xvii] L’apparition du Bouddha humain dans le monde réel permet de faire la médiation entre le monde idéal du Bouddha et la réalité concrète que nous vivons en tant qu’êtres humains.
[xviii] Réfère ici au Bouddha Amida
[xix] C’est-à-dire que l’homme est responsable de se sauver lui-même.
[xx] Le Bouddha Amida
[xxi] Bonbu, 凡未, terme désignant un être non-éveillé, avec toutes les passions, souffrances et fardeau karmique que cela sous-entend. Dans le Jôdo Shinshû, ce terme s’applique en particulier aux être qui ne peuvent se sauver en se reposant sur leurs propres forces et compétences.
[xxii] Dharmakaya
[xxiii] Nembutsu
[xxiv] Bonbu, 凡未
[xxv] le Grand Sûtra de Vie Infinie (Dai Muryōjukyō)