Shōshinge – Vingtième Stance : Tanluan – sur le Pouvoir-Autre (Tariki)
Tanluan – sur le Pouvoir-Autre (Tariki, 他力) du Bouddha Amida
Introduction
Le Shōshin Nembutsu Ge (正信念佛偈 – le poème sur la croyance véritable dans le Nembutsu) souvent abrégé Shōshinge est un poème long de 30 stances qui est récité tous les jours dans les temples Jōdo Shinshū. Il est extrait du Kyōgyōshinshō (教行信証), l’œuvre majeure de Shinran (親鸞, 1173 – 1262), le fondateur de notre école Jōdo Shinshū.
Dans cette vingtième stance, Shinran, en se basant sur le Ōjōronchū (往生論註) de Tanluan, aborde une notion primordiale dans son enseignement : la notion de Pouvoir-Autre (Tariki, 他力).
Vingtième stance du Shōshinge – Traduction
(20) En commentant le Traité du Bodhisattva Vasubandhu,
天親菩薩論註解 – Ten jin bo satsu ron chū ge
Il montra que les vœux [d’Amida] sont à l’origine des causes et effets de la Terre de rétribution.
報土因果顯誓願 – Hō do in ga ken sei gan
[Et que] Les deux types de transfert de mérites (ekō) proviennent du Pouvoir-Autre,
往還回向由他力 – Ō gen ne kō yu ta riki
Shinjin étant la seule et véritable cause déterminante.
正定之因唯信心 – Shō jō shi in yui shin jin
Vingtième stance du Shōshinge – Commentaire : Tanluan – sur le Pouvoir-Autre (Tariki, 他力) du Bouddha Amida
Comme expliqué dans la stance précédente, Tanluan est principalement connu dans le Jōdo Shinshū pour son commentaire sur le traité de Vasubandhu, le Ōjōronchū (往生論註).
Dans cette stance du Shōshinge, Shinran paraphrase le contenu de la dernière section de ce texte qui précède la conclusion de l’ouvrage et contient un certain nombre de concepts cruciaux pour son articulation de la doctrine de la Terre Pure.
En effet, Tanluan introduit pour la première fois dans l’histoire de l’école de la Terre Pure la notion de « Pouvoir-Autre (Tariki, 他力) » en opposition au « Pouvoir Personnel (Jiriki, 自力) ». Ainsi, il explique qu’autant notre naissance de la Terre Pure (la « cause » de la Terre de rétribution) que notre retour en ce monde (« l’effet » de la Terre de rétribution ») ont bien pour cause les vœux d’Amida – le Pouvoir-Autre – et ne prennent pas naissance dans les pratiques issues de notre propre égo – notre Pouvoir Personnel.
Pour illustrer cela, Tanluan cite trois vœux dont nous avons déjà discuté et qui sont également cruciaux pour Shinran : les deux vœux principaux permettant notre naissance dans la Terre Pure – le dix-huitième décrivant la cause de notre naissance dans la Terre Pure, et le onzième nous permettant de rejoindre le groupe des fixés dans le vrai dès cette vie et donc à terme le Nirvana – ainsi que le vingt-deuxième vœu assurant notre retour en ce monde en tant que bodhisattva. Après avoir discuté l’effet de ces trois vœux, il conclut :
Lorsque que nous réfléchissons au « Pouvoir-Autre », il s’agit bien là de la condition prédominante [nous permettant de rejoindre la Terre Pure et de revenir en notre monde en tant que bodhisattva]. Comment pourrait-il en être autrement ?
Il finit alors cette section de son commentaire par la remarque suivante, qui pour Shinran montre que Shinjin est bien la cause déterminante nous permettant de réaliser la Compassion et la Sagesse Infinie représentée par le Bouddha Amida :
Comme nous pouvons nous estimer chanceux d’avoir rencontré le Pouvoir-Autre ! Les futurs étudiants [du Bouddhisme], ayant entendu qu’il faut placer sa confiance dans le Pouvoir-Autre, devront l’accepter avec Shinjin (信心) […]
Le Pouvoir-Autre a généralement été compris comme une force venant du Bouddha Amida et transcendant le pratiquant. Soga Ryojin, un des penseurs modernes les plus influents de notre école, en revanche propose une autre interprétation du Pouvoir-Autre. Dans son essai « Le Pouvoir-Autre jaillit de notre sein (tariki ha mune yori waku, 他力は胸より湧く) » il écrit :
Nous devrions savourer le sens de ce que nous avons nommé le Pouvoir-Autre. Considéré sous l’angle du Tathāgata, il serait plus juste d’utiliser le terme « Pouvoir profitant aux autres » et ce n’est qu’à partir du moment où il vient à nous que nous pouvons utiliser de façon adéquate le terme Pouvoir-Autre. Il semble que ce qui pour nous est le Pouvoir-Autre devrait, une fois considéré sous l’angle du Tathāgata, plutôt être appelé Pouvoir Personnel.
Ainsi, le terme Pouvoir-Autre n’a vraiment de sens qu’à partir du moment où nous avons fait nous-même, intimement en notre propre sein, l’expérience des pouvoirs du Tathāgata par lesquels il profite aux autres.
C’est-à-dire que, à proprement parler, le Pouvoir-Autre n’existe pas dans la sphère objective. Le Pouvoir-Autre n’existe que dans la reconnaissance subjective que nous en faisons. Le Pouvoir Personnel du Tathāgata n’en est venu à s’appeler Pouvoir-Autre qu’à partir du moment où il fut transféré (Eko, 回向) en mon propre sein.
Nous ne sommes pas libérés par une sorte de Pouvoir-Autre existant objectivement, mais bien par la reconnaissance subjective de la libération par le Pouvoir-Autre en nous-même. Non, nous avons simplement objectivé l’expérience de libération et lui avons donné le nom Pouvoir-Autre.
Il n’y a ni libération ni Pouvoir-Autre en dehors de la conviction de notre libération. Ce dont nous faisons l’expérience n’est rien d’autre que la conviction que nous sommes libérés ici et maintenant. Cette conviction est la seule libération, le seul Pouvoir-Autre. Le Pouvoir-Autre n’est pas extérieur à nous, il jaillit de notre propre sein.
Traduction réalisée sur la base d’une traduction anglaise non-publiée du Professeur Michael Conway de l’Université Ōtani, avec son aimable autorisation.