Mattōshō lettre 20 – Éthique et Jōdo Shinshū
Une traduction de la vingtième lettre du recueil Mattōshō de Shinran shōnin
Lorsque je présente le Jōdo Shinshū, je dis souvent avec un sourire amusé qu’il s’agit de l’école bouddhique la plus légère en termes de règles, puisqu’il n’y en a tout simplement pas !
Je me rends cependant compte que mes propos à ce sujet sont souvent mal compris, comme s’ils sous-entendaient que les adeptes de notre école pouvaient se permettre de faire tout ce qu’ils veulent sans craindre les conséquences de leurs actions. Ce qui n’est bien entendu pas le cas. Je vous renvoie à ce sujet à mon court essai sur l’éthique et les préceptes dans le Jōdo Shinshū.
Ainsi, plutôt que de proposer un ensemble arbitrairement fixé d’obligations et d’interdits, dans le Jōdo Shinshū l’action de la Compassion et de la Sagesse du Bouddha Amida dans la vie du pratiquant va naturellement le pousser à définir par lui-même et pour lui-même ses propres règles. Règles qui pourront évoluer avec le temps en fonction des situations et à mesure que l’expérience de Shinjin va transformer le pratiquant et sa vision du monde.
Il est intéressant de noter que cette problématique relative à l’éthique des pratiquants était présente dès la création des premières communautés Shinshū et plusieurs lettres de Shinran Shōnin traitent précisément de ce point.
Je vous propose ci-dessous la traduction d’une de ces lettres les plus parlantes à ce sujet, issue du recueil « Lampe pour les Derniers Âges (Mattōshō, 末燈鈔) ».
Traduction de la vingtième lettre du recueil Mattōshō
J’ai bien reçu les présents des différentes personnes qui étaient listés, et la visite de Myokyo-bo à Kyoto est vraiment la bienvenue. Je ne trouve pas les mots pour exprimer l’étendu de ma gratitude. Bien que cela n’ait été guère surprenant, le fait que Myoho-bo ait atteint la naissance [dans la Terre Pure] me comble toujours autant de joie. Cet événement doit surement être fêté par toutes les personnes de Kashima, Namekata, et des districts reculés qui aspirent à la naissance dans la Terre Pure. J’ai également appris que le laïc-ordonné Hiratsuka avait atteint la naissance [dans la Terre Pure]. Il m’est impossible de décrire à quel point cela est merveilleux. Chacun de vous devrait ainsi réaliser qu’il est lui aussi certain d’atteindre la naissance dans la Terre Pure.
Par le passé, cependant, il y en avait certains parmi ceux qui désiraient naitre [dans la Terre Pure] qui avaient une compréhension erronée de certaines choses. Et il semble que ce soit toujours le cas [de nos jours]. Même à Kyoto il y a des gens qui comprennent mal [les enseignements] et qui errent dans la confusion, et j’ai entendu qu’il y a en a de nombreux autres dans les différentes provinces. Et même parmi les disciples de Hōnen, il y en a qui, se prenant pour de remarquables érudits, opèrent divers changements [sur les enseignements initiaux de notre maître] lorsqu’ils enseignent, troublant les autres autant qu’eux même, de sortent que tous en souffrent.
Il n’était [à l’époque] pas rare pour des personnes telles que toi, qui ne lisent pas ou ne connaissent pas les écritures, de déformer les enseignements après avoir entendu dire qu’aucun mal ne peut interférer avec le fait d’atteindre la naissance [dans la Terre Pure]. Il semble que ce soit [en réalité] toujours le cas [de nos jours]. Il est vraiment regrettable d’entendre que tu t’enfonces de plus en plus profondément dans l’erreur, en suivant ce que te disent des gens tels que Shinken-bo qui ne connaissent rien aux enseignements de la Terre Pure.
Il fut un temps pour chacun d’entre vous où vous ne connaissiez rien des vœux du Bouddha Amida et ne récitiez pas le Nembutsu, mais maintenant, guidés par les moyens compatissants de Shakyamuni et d’Amida, vous commencez à entendre ses vœux. Par le passé vous étiez ivre du vin de l’ignorance et n’aviez de goût que pour les trois poisons de l’avidité, de la colère et de l’ignorance. Mais depuis que vous avez entendu les vœux du Bouddha vous êtes progressivement sortis de l’ivresse de l’ignorance, avez progressivement rejeté les trois poisons et en êtes venus à préférer en tout temps la médecine du Bouddha Amida.
Inversement, comme il est lamentable que des personnes qui ne sont pas encore entièrement sorties de l’ivresse soient poussées à boire plus et que ceux qui sont encore sous l’emprise du poison soient encouragés à prendre plus de poison. Il est en effet bien triste de céder à ses pulsions sous prétexte qu’on est par nature habité par les passions mauvaises – justifiant ainsi des actes qui ne devraient pas être commis, des paroles qui ne devraient pas être prononcées, et des pensées qui ne devraient pas être nourries – et de dire qu’on peut suivre tous ses désirs quels qu’ils soient. C’est comme si on offrait à quelqu’un du vin avant qu’il ne soit redevenu sobre ou qu’on le poussait à prendre plus de poison avant que l’effet du poison [qu’il a pris] ne se soit dissipé. « Tiens, voilà un médicament [contre le poison], bois donc autant de poison que tu le désire » – de telles paroles ne devraient jamais être prononcées.
Parmi les gens qui depuis longtemps entendent le nom du Bouddha et disent le Nembutsu, il y a certainement des signes de leur rejet du mal de ce monde et des signes de leurs désirs de se libérer du mal qui est en eux. Quand des personnes entendent parler pour la première fois des vœux du Bouddha, ils se demandent, ayant pris conscience de tout le mauvais karma dans leurs cœurs et leurs esprits, comment ils pourraient atteindre la naissance dans la Terre Pure tels qu’ils sont. C’est pour de telles personnes que nous enseignons que puisque nous sommes pleins de passions mauvaises, le Bouddha nous reçoit sans juger si nos cœurs sont bons ou mauvais.
Quand, en entendant cela, la confiance dans le Bouddha d’une personne est devenue profonde, il ou elle en vient à détester un tel soi et à se lamenter de son existence continue dans le cycle des naissances et des morts ; et une telle personne dit alors joyeusement le nom du Bouddha Amida en s’en remettant profondément à ses vœux. Que des personnes cherchent à arrêter de faire le mal en suivant les impulsions de leurs cœurs, bien qu’auparavant elles pensaient au mal et le commettaient en suivant ce que leurs esprits leurs commandaient, est surement un signe d’avoir rejeté ce monde.
De plus, puisque Shinjin qui aspire à atteindre la naissance dans la Terre Pure apparaît au travers des encouragements de Shakyamuni et d’Amida, une fois que l’esprit qui est vrai et correcte apparaît en nous, comment pourrions-nous rester, tels que nous l’étions par le passé, possédés par nos passions mauvaises.
On m’a signalé des cas de méfaits venant même de certains d’entre vous. J’ai entendu que certains calomniaient leurs maîtres, méprisaient leurs véritables enseignants, et rabaissaient leurs compagnons de pratique – tout cela étant vraiment déplorable. Ils sont déjà coupables d’avoir calomnié le Dharma et d’avoir commis les cinq offenses graves. Tu ne dois pas les fréquenter. Le Traité sur le Terre Pure indique que de telles pensées apparaissent parce qu’ils n’arrivent pas à s’en remettre entièrement au Dharma du Bouddha. De plus, en expliquant ce qu’est le Cœur Sincère il enseigne qu’il faut garder respectueusement ses distances et ne pas devenir proche avec ceux qui s’adonnent à ce genre de méfaits. Il nous enseigne plutôt qu’il faut nous rapprocher de, et devenir amis avec, nos enseignants et compagnons de pratique. Pour ce qui est de devenir amis avec ceux qui s’adonnent aux méfaits, ce n’est qu’après avoir atteint la Terre Pure et en être revenu pour le bien des êtres sentients que nous pourrons devenir proches et amis avec de telles personnes. Cela, cependant, n’est pas de notre fait, ce n’est qu’après avoir été sauvés par les vœux d’Amida que nous pourrons agir tel que nous le souhaitons. Mais pour le moment, tels que nous sommes, que pouvons-nous bien faire ? S’il te plait, prends le temps de bien considérer tout cela. Puisque le “Cœur comme le diamant” qui aspire à la naissance [dans la Terre Pure] est éveillé en nous par l’action du Bouddha, certainement ceux qui réalisent ce “Cœur comme le diamant” ne calomnieront pas leur maître et ne seront pas méprisant envers leurs vrais enseignants.
S’il te plait, lis cette lettre à tous les gens de Kashima, Namekara, Minami-no-sho ou d’ailleurs qui partagent nos aspirations.
Respectueusement,
Traduit de l’anglais sur la base de « The Collected Works of Shinran«