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Jōdo Shinshū et Sentier Octuple

Etudier le Sentier Octuple sous l’angle du Jōdo Shinshū

Le Sentier Octuple est un élément primordial du Bouddhisme Theravada et, de ce fait, de nombreuses personnes estiment qu’il devrait former la base de toutes les traditions Bouddhiques. C’est pourtant loin d’être le cas et il existe de nombreuses traditions au sein desquels cet enseignement est entièrement absent. C’est notamment le cas de la notre, le Jōdo Shinshū. Le Sentier Octuple n’apparaît en effet pas réellement dans les écrits de Shinran Shōnin, le fondateur de notre école. Il ne faut pas voir là une déviation par rapport à un Bouddhisme « originel » que certains considèrent comme « pure », mais bien une évolution des pratiques et de la pensée bouddhique avec le temps ; point qui est notamment abordé dans ces deux courts articles.

Cependant étant donnée l’importance de cet enseignement pour de nombreux Bouddhistes, je pense qu’il tout de même intéressant de discuter du Sentier Octuple du point de vue du Jōdo Shinshū.

Le Sentier Octuple est traditionnellement divisé en trois sections :

L’éthique, qui regroupe :

  • La Parole Juste,
  • L’Action Juste,
  • Les Moyens d’Existence Justes

La discipline mentale, qui regroupe :

  • L’Effort Juste,
  • L’Attention Juste,
  • La Concentration Juste

La Sagesse, qui regroupe :

  • La Compréhension Juste,
  • La Pensée Juste

L’éthique – première composante du Sentier Octuple

Le lien entre l’éthique et le Jōdo Shinshū a été discuté dans un de nos articles et c’est également le thème principale d’un des lettres de Shinran que nous avons traduite. Dans le Jōdo Shinshū nous avons pleinement conscience que tous les êtres, aussi doués soient-ils, ne peuvent être parfaits. Ainsi il n’est aucunement demandé aux disciples de notre école de chercher à tout prix à maintenir une Parole juste, ou de faire en sorte que leurs Actions soient justes en toutes circonstances. Dans notre école, personne n’est rejeté pour des actions qu’il aurait commises malencontreusement ou des paroles malheureuses qu’il aurait pu prononcer. De même, personne n’est rejeté parce que son travail ne rentre pas dans ce qui était considéré traditionnellement comme un « Moyen d’Existence Juste ». Ceci était d’autant plus vrai par le passé où les gens n’avaient pas forcément le choix de leurs professions.

Cependant cela ne veut bien entendu pas dire que les pratiquants de notre école peuvent dire n’importe quoi, faire n’importe quoi et sont encouragés à pratiquer une profession non-éthique. Dans le Jōdo Shinshū ce qui est mis en avant est avant toute chose notre relation personnelle avec le Bouddha Amida, symbole de la Sagesse et Compassion Infinie, et comment cette relation nous transforme. Si par le passé nous pouvions être tenté de mal agir ou de semer le trouble par nos paroles ou nos actions, à mesure que notre relation avec le Bouddha Amida s’approfondit, à mesure que nous nous intégrons son message de Sagesse et de Compassion, nous nous éloignons naturellement de tout ce qui peut faire le mal pour tendre vers le bien. Ainsi, même si nous faisons encore souvent des erreurs, nous allons avoir naturellement tendance à préférer des paroles et des actions justes, et vouloir préférer un mode d’existence plus éthique.

Shinran, dans une des lettres du recueil « Lampe pour les Derniers Âges (Mattōshō, 末燈鈔) » que nous avons traduite, explique ce processus en détail. Pour lui, le message principal du Jōdo Shinshū est que cette tradition est ouverte à tous, que vous soyez initialement des menteurs, des voleurs ou que vous pratiquiez une profession considérée comme non-éthique d’un point de vue Bouddhique. Ainsi personne ne doit avoir honte de sa situation actuelle avant de commencer à pratiquer, tout ce qui est nécessaire est de vouloir changer en s’en remettant à la Sagesse et à la Compassion Infinie représentée par le Bouddha Amida. Il explique ainsi :

Shinran Shonin, fondateur du Jodo Shinshu
Shinran Shōnin

Quand des personnes entendent parler pour la première fois des vœux du Bouddha, ils se demandent, ayant pris conscience de tout le mauvais karma dans leurs cœurs et leurs esprits, comment ils pourraient atteindre la naissance dans la Terre Pure tels qu’ils sont. C’est pour de telles personnes que nous enseignons que puisque nous sommes pleins de passions mauvaises, le Bouddha nous reçoit sans juger si nos cœurs sont bons ou mauvais. 

Traduit de l’anglais – Collected Works of Shinran

La pratique du Jōdo Shinshū va alors naturellement changer cette personne au plus profond d’elle et la pousser à rejeter des actes mauvais qui lui auraient par le passé parus naturels et sans conséquences. Shinran continue ainsi dans sa lettre :

Quand, en entendant cela, la confiance dans le Bouddha d’une personne est devenue profonde, il ou elle en vient à détester un tel soi et à se lamenter de son existence continue dans le cycle des naissances et des morts ; et une telle personne dit alors joyeusement le nom du Bouddha Amida en s’en remettant profondément à ses vœux. Que des personnes cherchent à arrêter de faire le mal en suivant les impulsions de leurs cœurs, bien qu’auparavant elles pensaient au mal et le commettaient en suivant ce que leurs esprits leurs commandaient, est surement un signe d’avoir rejeté ce monde. De plus, puisque Shinjin qui aspire à atteindre la naissance dans la Terre Pure apparaît au travers des encouragements de Shakyamuni et d’Amida, une fois que l’esprit qui est vrai et correcte apparaît en nous, comment pourrions-nous rester, tels que nous l’étions par le passé, possédés par nos passions mauvaises.

Traduit de l’anglais – Collected Works of Shinran

Dans sa lettre, Shinran fait également une séparation nette entre ce qu’on pourrait qualifier « d’erreurs de parcours » où nous commettons quelque chose de mal involontairement, par exemple sous l’effet d’une émotion forte que nous n’arrivons pas à contrôler, et les cas ou nous choisissons volontairement de faire le mal en toute connaissance de cause. Le deuxième cas étant jugé « lamentable » par Shinran, qui écrit :

[…] Comme il est lamentable que des personnes qui ne sont pas encore entièrement sorties de l’ivresse soient poussées à boire plus et que ceux qui sont encore sous l’emprise du poison soient encouragés à prendre plus de poison. Il est en effet bien triste de céder à ses pulsions sous prétexte qu’on est par nature habité par les passions mauvaises – justifiant ainsi des actes qui ne devraient pas être commis, des paroles qui ne devraient pas être prononcées, et des pensées qui ne devraient pas être nourries – et de dire qu’on peut suivre tous ses désirs quels qu’ils soient.

Traduit de l’anglais – Collected Works of Shinran

Il est également possible d’aborder les trois composantes de cette première partie du Sentier Octuple sous l’angle du Jōdo Shinshū de la façon suivante :

L’action la plus idéale que nous puissions accomplir est de nous en remettre à la Sagesse et la Compassion représentées par le Bouddha Amida, lorsque nous joignons nos mains en « gasshō » et laissons de côté notre égo. Et c’est cette action juste, répétée encore et encore, qui va nourrir nos actions et nos paroles en les rendant plus justes.

De même, la parole la plus idéale que nous puissions prononcer est le Nembutsu, Namu Amida Butsu, dont la signification est « je prends refuge dans le Bouddha Amida ». Ce nom, réservoir de toutes les valeurs que nous attribuons au Bouddha Amida, nous permet de nous connecter à elles en toutes circonstances. Ainsi, lorsque nous appelons à nous le nom du Bouddha, naturellement nos paroles et nos actes s’accordent avec sa signification en devenant meilleurs.

Enfin, le Moyen d’Existence idéal serait celui qui nous laisse la possibilité et le temps de pratiquer et d’approfondir la voie Bouddhique. Grace à cela, notre cœur qui tendra naturellement vers le bien nous poussera également à vouloir vivre de façon plus juste et plus éthique.

La discipline mentale – seconde composante du Sentier Octuple

Comme c’est le cas pour la dimension éthique du Sentier Octuple, il n’y a pas dans la Jōdo Shinshū de prescriptions définies pour ce qui concerne la discipline mentale. Contrairement à d’autres traditions Bouddhiques, le Jōdo Shinshū ne demande pas à ses adeptes de pratiquer la méditation. La seule pratique considérée comme nécessaire étant de réfléchir aux vœux du Bouddha Amida, ce qui nous conduit à nous en remettre à la Compassion et la Sagesse qu’il représente et à prononcer le Nembutsu. Pour certains, il s’agit là d’une forme de méditation, et je tends à être d’accord avec eux. Lorsque je joins mes mains en « Gasshō » et m’en remets à la Compassion et à la Sagesse du Bouddha en prononçant le Nembutsu, alors je ressens vraiment le sens originel du mot Nembustu « 念仏 » : « méditer sur le Bouddha ».

Pour ce qui est de la discipline mentale, le Jōdo Shinshū se différencie même de son parent le Jōdo Shū. En effet, contrairement à ce dernier où il est recommandé de répéter le Nembutsu autant que possible, dans le Jōdo Shinshū il n’y pas de nombre de répétitions défini. Ce point est illustré par le court poème ci-dessous du Myokonin Asahara Saichi – une personne dont la vie toute entière reflète la Compassion et la Sagesse du Bouddha Amida selon le Jōdo Shinshū – dans lequel il parle de Hōnen Shōnin, le maitre de Shinran et le fondateur de l’école Jōdo Shū.

Myokonin Asahara Saichi, un poète du Jodo Shinshu
Myokonin Asahara Saichi

Hōnen Shōnin [est réputé avoir récité le Nembutsu] soixante-mille fois [par jour] ; 
Avec Saichi ce n’est que de temps en temps. 
Soixante-mille fois et de temps en temps – 
Ne sont qu’une seul et même chose. 
Que je suis reconnaissant pour cette faveur ! « Namu Amida Butsu ! »

Traduit de l’anglais – DT. Suzuki “Mysticism: Christian and Buddhist” 

Ainsi, dans le Jōdo Shinshū, plutôt que de considérer, par exemple, un grand nombre de répétitions du Nembutsu comme étant l’Effort Juste, nous allons plutôt considérer l’Effort Juste comme étant le fait de chercher à rappeler à nous autant que nous le pouvons la Sagesse et de la Compassion du Bouddha Amida. Nous accomplissons alors par la même occasion l’Attention Juste – le fait de remarquer les dérives de notre égo (Jiriki, 自力) et de reporter alors notre attention sur le « Pouvoir transcendant l’égo (Tariki, 他力) » du Bouddha Amida – ainsi que la Concentration Juste – le fait de garder notre attention portée sur ce « Pouvoir transcendant l’égo ». Le poème ci-dessous du Révérend Kiyozawa Manshi, un des enseignants modernes les plus importants de notre Branche Ōtani du Jōdo Shinshū, illustre bien la vision du Jōdo Shinshū de cet aspect du Sentier Octuple.

Portrait de Kiyozawa Manshi, un des penseurs modernes les plus influents du Jodo Shinshu
Le révérend Kiyozawa Manshi

Tant que je suis conscient de la libération apportée par le pouvoir transcendant mon égo (Pouvoir Autre), la façon dont je dois vivre ma vie m’apparaît clairement. Dès que j’oublie la libération apportée par le pouvoir transcendant mon égo, la façon dont je dois vivre ma vie devient incertaine.

Tant que je garde à l’esprit la libération offerte par le pouvoir qui me dépasse, je ne me laisse que rarement influencer par mes désirs. Quand j’oublie la libération offerte par le pouvoir qui me dépasse, presque tous mes actes deviennent dictés par mes désirs.

Quand la libération par le Pouvoir Autre est clairement présente dans mon esprit, tout ce que je fais est baigné de lumière. Quand je l’oublie, tout ce que je fais se trouve noyé dans les ténèbres.

Ah, libération par le Pouvoir transcendant l’égo ! Comme la simple conscience de ta présence me libère de ce monde d’illusions et de souffrances et me fait entrer dans la paix et la tranquillité de la Terre Pure.

A cet instant précis je me sens libéré par ma prise de conscience [du Pouvoir Autre]. Sans les enseignements [de Shinran Shōnin] concernant la libération par le Pouvoir transcendant l’égo, je n’aurais jamais pu échapper à la confusion et au désespoir.

Notre vie ressemble souvent à une mer agitée aux eaux sombres et polluées. Et pourtant, par-dessus cette mer agitée, la recouvrant entièrement, une lumière sereine et pure remplie l’espace. Cette lumière nous enveloppe entièrement, pour peu que nous soyons conscients de sa présence.

Ces quelques mots exprimant ma gratitude me paraissent bien légers en comparaison des bienfaits sans limites offerts par cette lumière universelle !

Traduit de l’anglais – « December Fan »  et « Selected Essays of Manshi Kiyozawa »

La Sagesse – troisième composante du Sentier Octuple

Dans le Jōdo Shinshū, la Sagesse consiste en une double réalisation. La première est de prendre conscience que nous sommes, ainsi que tous les autres êtres sentients, des êtres ordinaires bardés de passions mauvaises. La seconde est de prendre conscience que malgré cela la Compassion et la Sagesse représentée par le Bouddha Amida sont accessibles pour nous tous à tout moment et qu’il nous suffit de nous en remettre à elles. Cet aspect de la Sagesse est décrit par Shandao, le cinquième patriarche du Jōdo Shinshū, que Shinran cite au Chapitre de la Foi dans son œuvre majeur le Kyōgyōshinshō.

Shandao, le cinquième patriarche du Jodo Shinshu
Shandao, le cinquième patriarche du Jōdo Shinshū

[…] L’Esprit Profond est l’esprit qui s’en remet complètement [au Bouddha]. Il est constitué de deux aspects. Le premier est de croire fermement et entièrement qu’on est un être ignorant au karma mauvais prisonnier du cycle des naissances et des morts, toujours sombrant et errant dans les cycles des réincarnations depuis les temps immémoriaux, sans aucune opportunité qui permettrait de s’en échapper.  Le deuxième est de croire fermement et entièrement que les quarante-huit vœux du Bouddha Amida s’emparent [de tous] les êtres sentients, et qu’en nous laissant porter par le pouvoir de ces vœux sans aucun doute ou aucune appréhension, nous atteindrons la naissance [dans la Terre Pure]

Traduit de l’anglais – Collected Works of Shinran
Note : la naissance dans la Terre Pure est synonyme pour Shinran d’atteindre le Nirvana.

La Sagesse dans le Jōdo Shinshū consiste aussi à prendre conscience que nous ne pouvons pas nous baser sur notre égo pour nous améliorer spirituellement. Pour faire tomber notre égo, nous devons fonder notre pratique sur une force qui le dépasse (Tariki, 他力), représentée par le Bouddha Amida, afin de pouvoir réellement nous changer.

Ces deux éléments donnent un aperçu de la façon dont nous pouvons considérer la Compréhension Juste selon la perspective du Jōdo Shinshū.

La Pensée Juste est celle qui se nourrie de cette Compréhension Juste que nous venons de décrire. Il s’agit de la Pensée qui souhaite se détourner des trois poisons – les pensées d’avidité, de colère et d’ignorance – pour se tourner vers le Bouddha Amida. Ce qui se produit naturellement à mesure que nous laissons la Sagesse et la Compassion du Bouddha entrer dans nos vies. Comme le dit Shinran dans la lettre du recueil « Lampe pour les Derniers Âges (Mattōshō, 末燈鈔) » que nous avons citée précédemment :

Il fut un temps pour chacun d’entre vous où vous ne connaissiez rien des vœux du Bouddha Amida et ne récitiez pas le Nembutsu, mais maintenant, guidés par les moyens compatissants de Shakyamuni et d’Amida, vous commencez à entendre ses vœux. Par le passé vous étiez ivre du vin de l’ignorance et n’aviez de goût que pour les trois poisons de l’avidité, de la colère et de l’ignorance. Mais depuis que vous avez entendu les vœux du Bouddha vous êtes progressivement sortis de l’ivresse de l’ignorance, avez progressivement rejeté les trois poisons et en êtes venus à préférer en tout temps la médecine du Bouddha Amida.

Traduit de l’anglais – Collected Works of Shinran

Conclusion

Cet essai n’a pas pour vocation d’être exhaustif dans son traitement du Sentier Octuple sous l’angle du Jōdo Shinshū. En effet, étant donné que le Noble Sentier n’est traditionnellement pas enseigné dans notre école, toute tentative de discussion sur ce sujet ne pourra être qu’un exercice d’interprétation personnel. J’espère cependant avoir réussi à montrer qu’il est possible de faire communiquer cet enseignement du Bouddhisme ancien avec celui plus moderne du Jōdo Shinshū.

Si vous souhaitez partager votre vision du Sentier Octuple en lien avec le Jōdo Shinshū, n’hésitez pas à commenter cet article

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Bouddhiste Jōdo Shinshū basé en Franche-Comté qui souhaite partager avec vous sa passion pour cette tradition méconnue du Bouddhisme Japonais

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